Cluny, onze siècles d'histoire


• Crédits photo : Patrick Tourneboeuf/P.Tourneboeuf/Tendance Floue
A la charnière des XIe et XIIe siècles, Cluny est devenu l'un des centres du monde chrétien. Aujourd'hui presque entièrement détruit, le site retrouve pourtant sa splendeur évanouie grâce à une extraordinaire modélisation en 3D.

Le 25 octobre 1791, douze moines célèbrent une dernière messe dans l'immense église désormais vide de l'abbaye de Cluny. Les objets précieux, le mobilier liturgique, les grandes tentures brodées de fils d'or de celle qui fut la maior ecclesia du Moyen Age ont été réquisitionnés. Tout ce qui pouvait être vendu a été bradé. Tout ce qui pouvait être arraché à la pierre a été saisi. Seule reste la colossale et majestueuse carcasse du bâtiment, toujours imposante avec ses 187 mètres de long, ses 5 nefs, son chœur multiple, ses grands et petits transepts, ses 300 chapiteaux principaux, ses 7 clochers. Pas pour longtemps: sur ordre des révolutionnaires, tout cela sera bientôt transformé en carrière de pierres. Les démolisseurs, pour venir à bout de ce bâtiment phare de la chrétienté, auront recours à la mine. Il faudra près d'un quart de siècle de dépeçage et de pillage pour mettre à terre la grande bâtisse romane, solide comme une forteresse. Le terrain de l'abbaye sera découpé et vendu par lots.
Si bien qu'au fil des ans, des bâtiments civils se sont greffés sur le domaine de l'abbaye. Des édifices, et la ville elle-même, ont empiété sur les ruines, les maisons réutilisant pierres et colonnes jusqu'à envahir ce qui était autrefois la nef principale de l'église, maintenant traversée par une rue. Aujourd'hui, seuls quelques vestiges de cette église subsistent, imbriqués dans la ville moderne, coupés de l'ancienne enceinte médiévale et de ses tours par le percement de chaussées ou rendus illisibles au milieu des bâtiments contemporains. Un chiffre montre cruellement l'ampleur des destructions: seuls 8% de l'édifice médiéval sont parvenus jusqu'à nous.
L'abbé des abbés
Du temps de sa splendeur, c'est de là pourtant, de Cluny, que partit la plus belle aventure spirituelle du Moyen Age. Aux Xe et XIe siècles, le rôle politique et moral de Cluny est considérable. C'est une monarchie, une monarchie de moines, appuyée sur l'esprit. L'abbé de Cluny, l'abbé des abbés, est un souverain. Son autorité morale s'exerce en dehors même du système dont il est la tête. Les plus grands furent des saints et des chefs. Leur communauté donna à l'église plusieurs papes, de nombreux docteurs et quelques-unes de ces grandes figures qui, comme saint Odon, comme saint Hugues, résument et transfigurent par leurs vertus toute l'humanité du temps. Fondée en 910 (on a fêté le 11e centenaire cette année), l'abbaye de Cluny va rayonner durant tout le Moyen Age sur l'Europe occidentale avec près de 10.000 moines répartis du nord de l'Angleterre à l'Espagne, de l'Italie au Saint Empire. Cluny, qui n'a de comptes à rendre qu'au pape, appartient en conséquence à la sphère d'influence romaine. Cluny et Rome ont également en commun leurs saints patrons, Pierre et Paul. Sorte d'immense reliquaire, la basilique romane est à la fois l'église des moines et l'église des pèlerins. Elle abrite les corps saints et attire la dévotion des fidèles. Les moines clunisiens suivent dans ses grandes lignes la règle de saint Benoît, mais en réservant à la liturgie une place considérable. Le plain-chant est un autre élément essentiel: Cluny, avec son haut vaisseau central voûté en berceau, répond au désir d'une belle acoustique. Ce n'est pas facile à imaginer aujourd'hui, mais un pèlerin du milieu du XIIe siècle s'approchant de Cluny, découvrant ses proportions colossales, ses nombreuses tours, l'audacieuse complexité de son chevet croyait sans doute découvrir la Jérusalem céleste.
Spécialistes de la 3D
Pour son 1100e anniversaire, Cluny s'était promis de restaurer ses vestiges. Le chantier, qui aura duré quatre ans pour un coût de 23 millions d'euros, s'imposait. Dans les années 1980 encore, les visiteurs qui pénétraient dans le bras sud du grand transept constataient avec stupéfaction qu'il y pleuvait et que certaines des fenêtres étaient béantes. A l'entrée de la chapelle Saint-Martial, une affichette manuscrite accrochée avec une punaise mettait prudemment en garde : «Danger. Chute de pierres.» En effet, des débris de colonnes ou de chapiteaux gisaient parmi les mauvaises herbes, les ordures s'accumulaient dans le terrain de fouilles à ciel ouvert. «Cluny avait besoin depuis longtemps d'une rénovation. Au lieu d'agir, les différentes parties en présence se sont renvoyé la balle pendant des années. Début 2007, pourtant, il y a eu une brusque prise de conscience: il fallait sauvegarder ce complexe abbatial», explique François-Xavier Verger, l'administrateur des lieux. Mais comment se faire une idée de ce qui fut, jusqu'à ce qu'elle soit détrônée par Saint-Pierre de Rome, la plus grande église de la chrétienté? Seuls subsistent aujourd'hui les bras sud du grand et du petit transept, ainsi que le clocher de l'Eau bénite qui coiffait le croisillon sud du grand transept. S'il est pratiquement impossible de concevoir l'église dans sa longueur, les éléments restants permettent tout de même d'avoir une idée de sa formidable élévation. Et si les statues qui ornaient la chapelle Jean-de-Bourbon ont disparu, on peut encore y voir les consoles de style gothique flamboyant et les clés de voûte ornées des armes des Bourbons. La Caisse des monuments nationaux (CMN), qui gère ce site, a dû l'aménager et l'étoffer devant la déception de certains visiteurs. Pour dégager la perspective de l'église et permettre d'identifier les éléments d'architecture, il a d'abord fallu démolir les bâtiments édifiés telles des verrues sur le site de l'abbaye au XIXe siècle. L'entreprise se heurte pourtant toujours au même obstacle: comment montrer ce qui n'est plus, sauf si l'on se place dans le virtuel? Des archéologues, des historiens, des ingénieurs, des spécialistes de la 3D se sont donc associés pour réussir à numériser point par point, au millimètre près, la grande abbatiale évanouie. Il s'agit là d'une formidable alternative à une reconstitution inimaginable de Cluny: des écrans plats, montés sur des pieds pivotants, permettent de visualiser l'église telle qu'elle fut, à l'intérieur comme à l'extérieur, les parties manquantes de l'édifice venant s'intégrer parfaitement aux parties subsistantes. Le résultat est bluffant, l'effet panoramique, spectaculaire. On a l'illusion, en levant la tête, de découvrir le clocher à plus de 60 mètres de hauteur, d'avancer le long de la grande nef au milieu des colonnes et de leurs chapiteaux sculptés, de marcher, tels les pèlerins autrefois, sous les voûtes des chapelles. Reste que la poésie des ruines n'aura jamais la splendeur de l'élan créateur. Les œuvres accomplies dans l'ensemble de l'Europe au XIIe siècle dans l'esprit de Cluny sont le fait d'architectes et de sculpteurs à la personnalité forte, déjà sûrs d'eux-mêmes, inventeurs de formes inédites. Bientôt, on leur accordera le nom envié d'artistes. C'est à eux que l'on doit les grands chefs-d'œuvre de l'art roman et de la grande famille clunisienne: Vézelay, Moissac, Autun...

LE FIGARO

Σχόλια

Δημοφιλείς αναρτήσεις από αυτό το ιστολόγιο

Ξέρεται ότι: Το χαγιάτι στον ελλαδικό χώρο δεν είναι τούρκικο

Το άλογο κοιμάται όρθιο!